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Dans cet esprit impétueux et avide de bonheur, la crainte de la douleur morale n’était envisagée qu’avec épouvante.

— Non, je ne veux plus souffrir ! se dit-elle en tombant accablée de fatigue sur son oreiller. Je n’ai rien fait pour être malheureuse, moi ! Mon frère dit qu’avec de la volonté on est heureux, triomphant, libre. Je veux l’être, je le serai, dussé-je briser et fouler aux pieds tous ces liens, sacrés pour les autres, qui n’existent pas pour les enfants du hasard et du désespoir !


JOURNAL DE STEPHEN. — FRAGMENTS


Paris, 5 décembre 1846.

C’est un fait accompli. Morenita a suivi aujourd’hui la duchesse de Florès à son hôtel. L’étrange obstination de cette enfant à nous quitter reste un impénétrable mystère pour ma pauvre Anicée. Le peu de résistance que j’ai fait à cette résolution étonnait et affligeait presque mon bon ange. Sainte et digne femme ! si je lui disais la vérité, elle ne voudrait pas y croire ; elle croirait plutôt que je rêve. Ah ! combien peu elle devine cette nature indomptable et bizarre ! Jamais le hasard n’a rapproché des êtres plus différents, plus incapables de se comprendre l’un l’autre. Sans doute Morenita n’est pas dépourvue de cœur, car elle a souffert en quittant sa mère adoptive ; mais elle manque absolument de conscience, car elle n’a pas hésité à lui faire cet affront, à lui causer cette douleur.

Elle était si pressée de secouer la poussière de ses pieds en quittant le seuil de son asile, qu’elle n’a pas voulu attendre un prétexte quelconque. La brusquerie de sa détermination va révéler à tous le secret de sa naissance. Il est étrange que le