Page:Sand - La Filleule.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la vérité. Je vous ai pourtant dit cent fois que madame de Saule était secrètement mariée avec M. Rivesanges. Vous n’avez pas voulu me croire ; vous avez risqué trop tôt votre déclaration. Le mari s’est aperçu de votre amour. Il emmène sa femme, et il fait bien ; car chacun sait que vous êtes irrésistible.

— J’espère, ma chère Dolorès, dit le duc troublé et contrarié, que tout ceci est une plaisanterie que vous me faites ?

— Une pure plaisanterie, répondit-elle en l’embrassant au front.

Et elle sortit en riant encore.

Il y avait du vrai dans les suppositions de la duchesse. Le duc, vivement épris d’Anicée, s’était exprimé avec elle trop clairement. Avec une femme aussi modeste, aussi éloignée de l’idée de plaire, il n’était pas possible d’être compris à demi-mot. Anicée, sentant dès lors qu’elle ne pouvait plus continuer ses relations avec la famille de Morenita sans encourager des prétentions qui, loin de la flatter, l’offensaient, avait pris vite un parti décisif. Le voisinage de cette étrange enfant, son attitude singulière et presque hautaine dans leurs rares entrevues, la faisaient souffrir. Elle était restée à sa portée par un reste de dévouement. Mais, leurs liens officiels rompus par l’imprudence du duc, elle cédait au besoin de consacrer sa vie entière à Stéphen. Elle redevenait libre de vivre enfin pour elle-même en vivant pour lui seul.

Le duc n’était ni un fat ni un sot ; mais il avait les passions vives et comptait d’assez beaux succès dans sa vie pour ne pas croire offenser une femme plus âgée que lui, et qu’il supposait libre, en lui offrant son cœur. Il avait les mœurs faciles des gens privilégiés de la fortune et de la nature, et, sans perversité audacieuse, il n’avait pas de notions bien précises sur la vertu. C’était un peu la faute de sa femme, qui, sans manquer essentiellement à ses devoirs, ne lui avait jamais fait une vie