Page:Sand - La Filleule.djvu/249

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l’effet de la reine de Saba. Ah çà ! tu n’oublies pas, j’espère, au milieu de tes splendeurs, d’écrire à ta mamita, et à cette chère grand’mère, et à ton parrain qui t’aime tant ?

La duchesse s’approcha et dit à Roque, en riant, de parler plus bas s’il voulait continuer à tutoyer miss Hartwell.

— Bien, bien, fit-il, c’est juste, je ne dois plus la traiter comme une enfant.

Et il redoubla sans s’en douter.

Heureusement, l’arrivée de plusieurs grands personnages donna à Morenita un prétexte pour le laisser avec un autre médecin qui engagea avec lui une discussion sur l’homœopathie. C’était la bête noire de Roque que cette invention nouvelle. Le salon se remplit, la musique commença, et entre les premières phrases du récitatif d’un chanteur en renom, on entendit des interruptions étranges.

Vincemmo, o padri ! disait la voix suave et vibrante.

— Vos pères étaient des ânes ! disait en fausset le docteur homœopathe à Roque indigné, qui venait d’invoquer la science des classiques.

Le chanteur s’arrêta stupéfait.

— Restons-en là, si vous le prenez ainsi ! s’écria Roque de sa voix sèche et impérieuse, répondant à son antagoniste.

Un immense éclat de rire accueillit l’étrange mal-à-propos de cette sortie. La duchesse pria gaiement et familièrement les deux disputeurs de passer dans une galerie où ils ne seraient pas gênés par la musique. Roque ne demandait pas mieux.

On recommença la ritournelle, et le chanteur fut dédommagé par un grand succès.

Cet incident avait favorisé l’inaperçu de l’introduction d’un nouveau personnage, qui se glissa dans la foule, et que la duchesse présenta fort légèrement au duc, en lui disant que c’était un jeune artiste espagnol qu’on lui recommandait, et qu’il faudrait encourager un peu, parce qu’il allait se faire en-