Page:Sand - La Filleule.djvu/256

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écorché les oreilles tout à l’heure, je crains pour eux qu’elle ne reste fille.

— Une gitana rester fille ! répliqua l’autre vieille en ricanant ; il n’y a pas de risque, et le mariage est bien le moindre de leurs soucis, à ces pauvrettes.

— Tant pis pour le duc, reprit la première. Il verra que de race le chien chasse, et ce sera bien fait. Comment ose-t-on montrer aux gens comme il faut le produit d’une pareille incartade ? Il y a de quoi éloigner de chez lui les femmes honnêtes. Je ne croyais pas la duchesse extravagante à ce point-là ; si cela continue, on n’amènera plus les jeunes personnes chez elle. Pour moi, je suis aux regrets que ma petite-fille soit ici, et je vais lui défendre de répondre à cette moricaude, si elle se permet de lui adresser la parole.

Morenita sentit faiblir ses genoux. Elle fut sur le point de tomber évanouie ; mais ranimée par la colère, elle frappa d’un grand coup d’éventail le turban de la douairière au moment où celle-ci se levait. La dame se retourna d’un air courroucé.

— Pardon, señora, dit Morenita de l’air le plus insolent qu’elle put se donner, je ne vous voyais pas.

— Ce n’est pas étonnant, répondit la dame ; vous êtes si petite !

— C’est vrai, madame, j’ai pris votre turban pour un coussin, et je le trouvais placé trop haut. J’ai cru que sa place devait être sous mes pieds, et j’allais l’y mettre ; mais j’ai vu votre figure et j’ai eu peur.

— L’insolente ! s’écria la vieille femme en s’éloignant ; c’est une vraie gitana de la rue !

Cette altercation avait été entendue de quelques personnes. En peu d’instants, elle circula dans des groupes nombreux. C’était la demi-heure d’intervalle entre la première et la seconde partie du concert. Tous les Français jeunes furent du