Page:Sand - La Filleule.djvu/257

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parti de Morenita et dirent entre eux qu’elle avait bien fait de river le clou à une vieille sorcière. Les gens sérieux trouvaient la chose fâcheuse. Les jeunes femmes en rirent aux dépens des deux parties. Plusieurs précieuses en furent formalisées. Bon nombre de vieux Espagnols des deux sexes se retirèrent fort irrités, la dame outragée en tête, et se plaignant au duc, avec l’aigreur et la rudesse presque grossière que prennent tout à coup les gens du grand monde quand ils se croient provoqués par leurs inférieurs.

Le duc, vivement affecté de cette algarade, chercha partout sa fille. Elle avait quitté le salon. Morenita, pâle de rage, tremblante, et près de suffoquer, s’était enfuie dans sa chambre, et, tirant les verrous pour cacher une émotion qu’elle voulait paraître surmonter, s’était jetée sur un sofa. Elle avait laissé sa toilette fort éclairée, afin de pouvoir revenir au besoin, de temps en temps, rajuster sa coiffure. Elle fut surprise de se trouver dans l’obscurité, et sérieusement effrayée lorsqu’elle se sentit entourée de deux bras souples et forts qui l’enlaçaient comme deux serpents. Elle allait crier lorsqu’elle reconnut la voix de Rosario, qui l’appelait sa sœur, sa bien-aimée, son unique amour sur la terre.

Alors Morenita fondit en larmes, et, reprenant son énergie, elle lui raconta en deux mots quel outrage elle venait de subir.

— Ce n’est rien, dit le gitanillo en riant. Moi, j’ai été mis à la porte. On m’a glissé de l’argent dans la main comme à un valet, et on m’a empêché de compléter mon succès en chantant dans la seconde partie du concert. Mais qu’est-ce que cela nous fait, Morenita ? Nous ne sommes pas méprisés, va ! On n’insulte que ce qu’on déteste, et on ne déteste que ce qu’on redoute. Ce qu’on dédaigne réellement, on n’y fait pas attention. À l’heure qu’il est, vois-tu, cent femmes sont amoureuses de moi dans le salon d’où on me chasse, et tous