Page:Sand - La Filleule.djvu/27

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ainsi, pour te retrouver dans deux mois à l’état de chrysalide. Tu vas aller passer ce temps de solitude dans le plus bel endroit du monde. Tu y seras poëte ou naturaliste jusqu’à mon retour ; cela vaudra mieux que de te momifier l’entendement.

Nous partîmes ensemble par la route de Nemours, Montargis et Bourges ; c’était à peu près le chemin de notre pays. À un quart de lieue de son trajet, Roque voulut s’arrêter pour m’installer dans la retraite qu’il me ménageait.

Plus âgé que moi de deux ans, et sorti de collége avant moi, Roque avait déjà fait l’apprentissage d’un certain art dans le choix d’une solitude momentanée. Il me conduisit dans une maisonnette isolée du village d’Avon, et perdue dans les taillis, à la lisière de la forêt de Fontainebleau. Cette pauvre demeure était habitée par un vieux couple honnête et propre, qui nous reçut à bras ouverts et se chargea de moi pour une très-modique rétribution.

Jean et Marie Floche, tel était le nom de mes hôtes. Leur rustique demeure se composait de deux étages contenant chacun deux chambres. Un escalier extérieur, tout tapissé de lierre, montait au premier, qui me fut loué. Au rez-de-chaussée, le ménage Floche se chargeait de préparer mes repas et de respecter mon isolement.

Roque, résolu à consacrer deux journées à mon installation, commença par me promener dans les plus beaux sites de la forêt. Il avait tracé lui-même un plan des principales localités, au moyen duquel je pouvais parcourir de vastes espaces sans me perdre ; mais il voulut jouir de mon ravissement en me faisant pénétrer avec lui dans la vallée de la Sole, dans les gorges de Franchart, au carrefour du Grand-Veneur et dans tous ces beaux lieux dont les arbres séculaires étaient alors dans toute leur magnificence.

Cette journée fut la seule agréable que j’eusse passée depuis mon malheur. Elle devait finir d’une manière fort triste.