Page:Sand - La Filleule.djvu/295

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

» — Pourquoi donc ? vous avez trop de vanité pour vouloir paraître dupe de ma petite rouerie ?

» — Ce n’est pas cela, mais c’est la déloyauté envers le duc qui me répugne.

» — Si fait, c’est cela ! a-t-elle repris avec colère

» Et l’ancienne Morenita a reparu pour quelques moments. Elle m’a dit pas mal d’injures, et, abusant de son malheur, elle a fait son possible pour me blesser. Tout cela s’est noyé dans les larmes, et je n’ai pu la calmer et la quitter qu’en lui promettant de faire ce qu’elle me demande. Mais je vous confesse que j’ai promis cela comme on promet la lune aux enfants qui crient. Je ne me sens pas la force de jouer le duc et la duchesse à ce point, et je vous écris bien vite pour que vous veniez me tirer d’embarras.

» Faut-il que cette enfant souffre et languisse en prison pour avoir prêté l’oreille aux romances et aux romans de son frère en bohème, le plus innocemment du monde, après tout ? Je vous répète que le duc n’entend rien au métier de père, et vous pensez avec moi qu’on fait toujours fort mal ce métier-là quand on ne le fait pas franchement et ouvertement. Morenita juge la question avec un bon sens qui effraye. Elle refuse toute soumission, toute confiance à un père qui rougit de l’appeler sa fille. Vous me direz qu’elle n’a pas mieux agi avec vous qui n’aviez pas ces torts-là envers elle. Que voulez-vous ! il y a là-dessous un secret de race, ou une manie d’enfant que je ne puis vous expliquer ; car cette fillette est une énigme sous bien des rapports.

» Venez, ou écrivez-moi, mes amis ! Je reste le bec dans l’eau et le cœur à votre service. »


Stéphen, Anicée et madame Marange étaient à Genève, où Roque les avait rejoints pour quelque temps, lorsque cette lettre, adressée par Clet à Naples, leur fut renvoyée par la