Page:Sand - La Filleule.djvu/297

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Il se résolut à éclairer Anicée sur les causes mystérieuses de l’abandon et de l’ingratitude de sa fille adoptive.

— N’est-ce que cela ? dit la magnanime et généreuse femme. Eh bien, c’est la fantaisie involontaire d’un cerveau malade. Pourquoi ne me l’avoir pas dit plus tôt ? Je l’aurais guérie, moi qui la connaissais si bien, cette pauvre petite créature bizarre. Je ne lui aurais pas brisé la coupe de la vérité sur la tête si brusquement. Je lui aurais laissé, pendant quelques jours, l’espérance de te plaire et même de t’épouser. C’est une nature qu’il ne faut pas heurter de front et qui n’entre en pourparler avec le possible qu’après avoir fait acte d’omnipotence dans son imagination. Je n’aurais demandé que trois mois pour la guérir. À présent que cette manie a été froissée et qu’on l’a laissée couver dans le silence, elle sera plus difficile à extirper. C’est égal, je m’en charge. Qu’on me rende ma pauvre malade, et tu m’aideras tout le premier à débarrasser son âme de cette possession diabolique. Ah ! Stéphen, comment se fait-il que les anges aient quelquefois peur du démon ? C’est ce qui t’est arrivé pourtant. Si je te connaissais moins, je dirais que tu as douté de toi-même, puisque tu as douté de Dieu et reculé devant cet exorcisme. Allons, allons, marche et ne crains rien. Je ne peux pas être jalouse, malgré mes quarante-cinq ans ! Pour cela, il faudrait douter de toi, et j’y ai plus de foi que toi-même. Ramène-moi mon Astarté, mon djinn, ma bohémienne. Je connais ses dents : elles s’émousseront dans les fruits que nous cueillerons pour elle aux arbres de notre paradis. Et puis, quand elle nous ferait un peu souffrir ! ne lui devons-nous pas de subir toutes les conséquences, de remplir tous les devoirs de l’adoption ? Est-ce sa faute si elle a dans les veines un peu de flamme infernale ? N’avions-nous pas prévu qu’il pouvait en être ainsi, le jour où nous avons juré de lui servir de père et de mère ? Rappelle-toi que tu te méfiais de ma persévérance, que tu craignais pour ta filleule ; et aujourd’hui, c’est toi qui es