Page:Sand - La Filleule.djvu/298

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mauvais parrain, c’est toi qui me conseilles l’abandon et l’égoïsme ! Non, non ! tu vas partir et tu vas me la ramener. Écoute, tu lui diras : « Mamita est malade, elle a besoin de toi pour la soigner, elle te demande, » et tu verras qu’elle accourra bien vite ; car elle m’aime et m’aimera d’autant plus maintenant qu’elle sentira ses mouvements d’aversion plus injustes.

— Ah ! ma sainte femme ! s’écria Stéphen, tu parles des anges, qui ne devraient jamais douter de Dieu ! Les anges ne sont rien auprès de toi, et, après quinze ans d’efforts pour te mériter, on se sent encore si petit devant toi, qu’on en est effrayé !

Stéphen partit pour Turin avec Roque, ne voulant pas, malgré tout, exposer Morenita à l’émotion de se trouver seule avec lui en voyage.

Cependant Clet, voyant huit jours écoulés sans recevoir de nouvelles de ses amis, perdait complètement la tête. Il se voyait aux prises avec la plus dangereuse des tentatrices, son imagination ; nous pourrions dire sa vanité, bien que le temps et l’expérience en eussent amoindri l’épanouissement primitif.

Morenita, dont le premier mouvement avec lui avait été sincère, voyant qu’elle ne pouvait le décider à seconder son plan, revint à la fourbe féminine dont elle croyait avoir le droit d’user dans ses détresses. Elle feignit de se raviser ; elle fut coquette. Il n’eut pas la force de suspendre ses visites au couvent jusqu’à l’arrivée de Stéphen, qu’au reste il n’espérait pas beaucoup voir venir à temps pour le diriger. Le duc écrivait à Clet d’insister et de faire sa cour. L’abbesse, avertie d’encourager le projet de mariage, laissait les visites se répéter et se prolonger sans témoins. Morenita usa de toutes les ressources de son esprit et de sa malice ; Clet l’aida lui-même à le duper. Voici comment :