Page:Sand - La Filleule.djvu/302

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résolution d’épouser M. Hubert Clet, et qu’elle chargeait celui-ci de mettre à la poste le soir même.

— Mais, s’il en est ainsi, dit Clet en mettant la lettre dans sa poche après avoir consenti à la lire, à quoi bon l’équipée que nous allons faire ? Dans quatre jours, grâce à cette lettre, le duc sera ici, vous sortirez le jour même, et nous retournerons tous les trois à Paris, sans scandale, sans danger.

— Ah ! vous craignez le scandale, à présent ? dit froidement Morenita. Eh bien, renoncez à moi. Je ne veux pas d’un mari passé au laminoir des convenances, qui, au premier nuage, me reprocherait de l’avoir choisi par haine du couvent ; car je pourrais bien lui reprocher, moi, de m’avoir délivrée par amour de ma dot. Je ne ferai jamais qu’un mariage d’amour, je vous le déclare. Fuyons comme deux amants, sans cela nous ne serons jamais époux, je vous le jure par l’âme de ma mère !

Clet se retira aussi effrayé qu’enivré. Si la dot lui plaisait, la femme le charmait encore davantage. Il en avait peur, mais son amour-propre lui persuada qu’il vaincrait le démon. Il ne se disait pas qu’il avait bu et fumé trop d’opium dans sa crise romantique pour n’être pas facile à endormir par le chant de la sirène.

Il passa une nuit fort agitée et se retrouva assez froid le lendemain. Au fond du cœur, sa passion pour la gitanilla était un peu factice, — elle avait plutôt son siége dans l’imagination. Quand il se rappelait le pauvre enfant noir de la maison Floche, allaité sur la paille par une brebis, les premiers cris, les premiers rires, les premiers pas du marmot dans le parc de Saule, les premières malices de la petite fille, les premières coquetteries de l’adolescente, bien qu’il n’eût pas naturellement les entrailles très-paternelles, il se figurait qu’il faisait la cour à sa propre fille, et il se trouvait tout au moins fort ridicule.