Page:Sand - La Filleule.djvu/65

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rent à madame de Saule. Il faudra que je lui dise votre admiration.

— De quoi vous mêlez-vous, je vous prie ?

— J’ai envie de m’amuser à lui faire la cour pour vous. Ça me distraira.

— Je vous engage beaucoup, si vous ne voulez pas être inconvenant dans vos façons de vous divertir, de ne pas me prendre pour le sujet de vos plaisanteries.

— Bien, bien ! Vous vous fâchez, parce que vous vous sentez le courage de faire la cour pour votre compte. Bravo ! mon savant. Vous avez plus de courage et d’aplomb que je ne me le serais imaginé avant de vous voir ici. Comme vous vous tenez sur vos deux pieds ! Allons, pardonnez mes sottes railleries, et habituez-vous, puisque vous voilà lancé dans le monde, à ne pas prendre au sérieux ces sortes de choses. Bien d’autres que moi vous feront compliment de vos bonnes fortunes ; n’allez pas vous imaginer, chaque fois, que c’est par dépit ou par convoitise. Pour moi, il n’en est rien. Madame de Saule est une belle personne et une excellente femme, mais si vulgaire d’esprit, si froide d’imagination et si dominée par sa mère, qu’elle en est abêtie, et ce n’est pas moi qui voudrais engager la lutte contre tant de vertu, de prosaïsme et de surveillance maternelle. D’ailleurs, quelle femme mérite d’être aimée assez pour qu’on la dispute, ou seulement pour qu’on l’envie à un camarade ? Elle existe peut-être, mais je confesse ne l’avoir jamais rencontrée.

Il me parla longtemps encore sur ce ton, et j’avoue que sa fatuité me déplut tant ce jour-là, que je faillis, à plusieurs reprises, le lui faire sentir durement. Plus il s’efforçait de dénigrer madame de Saule, plus je lisais clairement dans sa pensée qu’il en était vivement épris, et que, n’ayant pas été encouragé, il n’avait pas même trouvé moyen de le lui dire ; il était blessé de me voir mieux accueilli au bout d’une journée que lui au