Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
309

sous la forme d’assistance, d’affection et de dévouement de la part de nos semblables. Il y a quelque chose de si doux à abandonner la conduite de sa propre destinée à qui nous aime, et à se sentir, pour ainsi dire, porté par autrui ! C’est un bonheur si grand qu’il nous corromprait vite, si nous ne nous combattions nous-mêmes pour ne pas en abuser. C’est le bonheur de l’enfant, dont les songes dorés ne sont troublés, sur le sein maternel, par aucune des appréhensions de la vie réelle.

Ces pensées, qui se présentaient comme un rêve à Consuelo, au sortir subit et imprévu d’une existence si cruelle, la bercèrent d’une sainte volupté, jusqu’à ce que le sommeil vînt les noyer et les confondre dans cette sorte de repos de l’âme et du corps qu’on pourrait appeler un néant senti et savouré. Elle avait totalement oublié la présence de son muet compagnon de voyage, lorsqu’elle se réveilla tout près de lui, la tête appuyée sur son épaule. Elle ne pensa pas d’abord à se déranger ; elle venait de rêver qu’elle voyageait en charrette avec sa mère, et le bras qui la soutenait lui semblait être celui de la Zingara. Un réveil plus complet lui fit sentir la confusion de son inadvertance ; mais le bras de l’inconnu semblait être devenu une chaîne magique. Elle fit à la dérobée de vaines tentatives pour s’en dégager ; l’inconnu paraissait dormir lui-même et avoir reçu machinalement sa compagne dans ses bras lorsque la fatigue et le mouvement de la voiture l’y avaient fait glisser. Il avait joint ses deux mains ensemble autour de la taille de Consuelo, comme pour se préserver lui-même de la laisser tomber à ses pieds en s’endormant. Mais son sommeil n’avait pas relâché la force de ses doigts entrelacés, et il eût fallu, en essayant de les détacher, le réveiller complètement. Consuelo ne l’osa pas. Elle espéra que de lui-même il lui rendrait sa liberté sans le