Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 2e série.djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

goisses que je n’ai pas su épargner aux autres objets de mon affection.

« Sa santé paraissait complètement rétablie, et d’autres secours que ceux de ma tendresse l’aidaient à combattre sa malheureuse passion. Marcus et quelques-uns des chefs de notre ordre l’initiaient avec ferveur aux mystères de notre entreprise. Il trouvait des joies sérieuses et mélancoliques dans ces vastes projets, dans ces espérances hardies, et surtout dans ces longs entretiens philosophiques où, s’il ne rencontrait pas toujours une entière similitude d’opinions entre lui et ses nobles amis, il sentait du moins son âme en contact avec la leur dans tout ce qui tenait au sentiment profond et ardent, à l’amour du bien, au désir de la justice et de la vérité. Cette aspiration vers les choses idéales, longtemps comprimée et refoulée en lui par les étroites terreurs de sa famille, trouvait enfin un libre espace pour se développer, et ce développement, secondé par de nobles sympathies, excité même par de franches et amicales contradictions, était l’atmosphère vitale dans laquelle il pouvait respirer et agir, quoique dévoré d’une peine secrète. Albert est un esprit essentiellement métaphysique. Rien ne lui a jamais souri dans la vie frivole où l’égoïsme cherche ses aliments. Il est né pour la contemplation des plus hautes vérités et pour l’exercice des plus austères vertus ; mais en même temps, par une perfection de beauté morale bien rare parmi les hommes, il est doué d’une âme essentiellement tendre et aimante. La charité ne lui suffit pas, il lui faut les affections. Son amour s’étend à tous, et pourtant il a besoin de le concentrer plus particulièrement sur quelques-uns. Il est fanatique de dévouement ; mais sa vertu n’a rien de farouche. L’amour l’enivre, l’amitié le domine, et sa vie est un partage fécond, inépuisable entre l’être abs-