Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 2e série.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
169

bras, je la croirais détachée du sein de Dieu, où les âmes vont se retremper, et où les formes se recomposent. Je ne vous dirais pas vos abominables formules de renvoi et de malédiction, exorcismes impies de la peur et de l’abandon ; je vous appellerais au contraire, je voudrais vous contempler avec amour et vous retenir autour de moi comme des influences secourables. Ô ma mère ! c’en est fait ; il faut que je sois mort pour eux ! qu’ils meurent par moi ou sans moi ! »

« Albert n’avait quitté sa patrie qu’après s’être assuré que la chanoinesse avait résisté à ce dernier choc du malheur. Cette vieille femme, aussi malade et aussi fortement trempée que moi-même, sait vivre aussi par le sentiment du devoir. Respectable dans ses convictions et dans son infortune, elle compte avec résignation les jours amers que la volonté de Dieu lui impose encore. Mais dans sa douleur, elle conserve une certaine raideur orgueilleuse qui survit aux affections. Elle disait dernièrement à une personne qui nous l’a écrit : « Si on ne supportait pas la vie par devoir, il faudrait encore la supporter par respect pour les convenances. » Ce mot vous peint toute la chanoinesse.

« Dès lors Albert ne songea plus à nous quitter, et son courage sembla grandir dans les épreuves. Il sembla avoir vaincu même son amour, et se rejetant dans une vie toute philosophique, il ne parut plus occupé que de religion, de science morale et d’action révolutionnaire, il se livra aux travaux les plus sérieux, et sa vaste intelligence prit ainsi un développement aussi serein et aussi magnifique que son triste cœur en avait eu un excessif et fiévreux loin de nous. Cet homme bizarre, dont le délire avait consterné les âmes catholiques, devint un flambeau de sagesse pour des esprits d’un ordre supérieur. Il fut initié aux plus intimes confidences des