Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/106

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— Est-ce une menace, seigneur Lélio ? dit-elle en cachant sa frayeur sous le manteau de son orgueil.

— Non, signora. Un homme qui ne veut pas reculer devant un autre homme n’est pas un homme qui menace.

— Mais mon cousin ne vous a rien dit, monsieur ; c’est contre son gré que je vous ai fait ces plaisanteries.

— Mais il est jaloux et querelleur… De plus, il est brave. Moi, je ne suis pas jaloux, signora, je n’en ai ni le droit ni la fantaisie. Mais je suis querelleur aussi, et peut-être que, moi aussi, bien que je ne m’appelle pas Grimani, je suis brave ; qu’en savez-vous ?

— Oh ! je n’en doute pas, Lélio ! s’écria-t-elle avec un accent qui me fit frémir de la tête aux pieds, tant il était différent de ce que j’entendais depuis trois jours.

Je la regardai avec surprise ; elle baissa les yeux d’un air à la fois modeste et fier. Je fus désarmé encore une fois.

— Signora, repris-je, je ferai ce que vous voudrez, rien que ce que vous voudrez, comme vous le voudrez.

Elle hésita un instant.

— Vous ne pouvez pas revenir comme accordeur de pianos, dit-elle, vous me compromettriez ; car mon cousin va certainement dire à ma tante qu’il vous soupçonne d’être un chercheur d’aventures galantes ; et, si ma tante le sait, elle le dira à ma mère. Or, monsieur Lélio, sachez que je ne me soucie que d’une personne au monde, c’est de ma mère ; que je ne crains qu’une chose au monde, c’est le déplaisir de ma mère. Elle m’a pourtant bien mal élevée, vous le voyez ; elle m’a horriblement gâtée… mais elle est si bonne, si douce, si tendre, si triste… Elle m’aime tant… si vous saviez !…

Une grosse larme roula sur la noire paupière de la signora ; elle essaya quelques instants de la retenir, mais elle vint tomber sur sa main. Ému, pénétré et terrassé par le terrible dieu avec lequel on ne joue pas en vain, je portai mes lèvres sur cette belle main, et