Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/13

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encore (bien que cet usage menace de se perdre) nos trouvères et nos bardes, que nous appelons cupidons ; rapsodes voyageurs, ils nous apportent des provinces centrales les notions incorrectes de la langue mère, altérée, je ferais mieux de dire enrichie, de tout le génie des dialectes du Nord et du Midi. Hommes du peuple comme nous, doués à la fois de mémoire et d’imagination, ils ne se gênent nullement pour mêler leurs improvisations bizarres aux créations des poètes. Prenant et laissant toujours sur leur passage quelque locution nouvelle, ils embellissent et leur langage et le texte de leurs auteurs d’une incroyable confusion d’idiomes. On pourrait les appeler les conservateurs de l’instabilité du langage dans les provinces frontières et sur tout le littoral. Notre ignorance accepte sans appel les décisions de cette académie ambulante ; et vous avez eu souvent l’occasion d’admirer tantôt l’énergie, tantôt le grotesque de l’italien de nos poètes, dans la bouche des chanteurs des lagunes.

C’est le dimanche à midi, sur la place publique de Chioggia, après la grand-messe, ou le soir dans les cabarets de la côte, que ces rapsodes charment, par leurs récitatifs entrecoupés de chant et de déclamation, un auditoire nombreux et passionné. Le cupido est ordinairement debout sur une table et joue de temps en temps une ritournelle ou un finale de sa façon sur un instrument quelconque, celui-ci sur la cornemuse calabraise, celui-là sur la vielle bergamasque, d’autres sur le violon, la flûte ou la guitare. Le peuple chioggiote, en apparence flegmatique et froid, écoute d’abord en fumant d’un air impassible et presque dédaigneux ; mais aux grands coups de lance des héros de l’Arioste, à la mort des paladins, aux aventures des demoiselles délivrées et des géants pourfendus, l’auditoire s’éveille, s’anime, s’écrie et se passionne si bien, que les verres et les pipes