Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/151

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que vous possédez, vous pourriez arracher à votre mère un consentement qui lui répugnerait ?

— Que dites-vous là, Lélio ? Me supposez-vous capable d’un si odieux calcul ? Si vous vouliez m’écouter, au lieu de passer vos mains sur votre front d’un air égaré… Mon ami, mon cher Lélio, quel nouveau chagrin, quel nouveau scrupule est donc entré dans votre âme depuis un instant ?

— Chère signora, je vous supplie de continuer.

— Eh bien ! sachez que cette aventure n’est jamais sortie de ma mémoire, qu’elle a causé tous les chagrins et toutes les joies de ma vie. Je compris que je ne devais jamais interroger ma mère sur ce sujet, ni en parler à personne. Vous êtes le premier, Lélio, sans en excepter ma bonne gouvernante Salomé, et ma sœur de lait, à qui je dis tout, qui ait reçu cette confidence. Mon orgueil souffrit de la faute de ma mère, qui semblait rejaillir sur moi. Cependant je continuai d’adorer ma mère. Je l’aimai peut-être d’autant plus que je la sentais plus faible, plus exposée au secret anathème de mes parents du côté paternel. Mais ma haine pour le peuple s’accrut de toute mon affection pour elle.

« Je vécus dans ces sentiments jusqu’à l’âge de quatorze ans, et ma mère ne parut pas s’en occuper. Au fond de l’âme, elle souffrait de mon dédain pour les classes inférieures, et un jour elle se décida à m’adresser de timides reproches. Je ne lui répondis rien, ce qui dut l’étonner ; car j’avais l’habitude de discuter obstinément avec tout le monde et à propos de tout. Mais je sentais qu’il y avait une montagne entre ma mère et moi, et que nous ne pouvions raisonner avec désintéressement de part ni d’autre. Voyant que j’écoutais ses reproches avec une soumission miraculeuse, elle m’attira sur ses genoux, et, me caressant avec une ineffable tendresse, elle me