Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/155

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sur moi, elle attendait avec anxiété ma réponse. Pour moi, j’étais anéanti. Aux premières paroles de ce récit, j’avais été frappé de son étrange ressemblance avec ma propre histoire, mais quand elle en vint aux circonstances qu’il m’était impossible de méconnaître, je restai confondu et ébloui, comme si la foudre eût passé devant mes yeux. Mille pensées contraires et toutes sinistres s’emparèrent de ma tête. Je vis s’agiter devant moi, pareilles à des fantômes, les images du crime et du désespoir. Ému du souvenir de ce qui avait été, effrayé de l’idée de ce qui eût pu être, je me voyais à la fois l’amant de la mère et le mari de la fille. Alezia, cette enfant que j’avais vue au berceau, était là, devant moi, me parlant en même temps de son amour et de celui de sa mère.

Un monde de souvenirs se déroulait devant moi, et la petite Alezia s’y présentait comme l’objet d’une tendresse déjà craintive et douloureuse. Je me rappelais son orgueil, sa haine pour moi, et les paroles qu’elle m’avait dites un jour lorsqu’elle avait vu la bague de son père à mon doigt. Qui sait, pensai-je, si ses préjugés sont à jamais abjurés ? Peut-être que, si en cet instant elle apprenait que je suis Nello, son ancien valet, elle rougirait de m’aimer.

— Signora, lui dis-je, vous aimiez autrefois, dites-vous, à percer le cœur de vos poupées avec une grande épingle. Pourquoi faisiez-vous cela ?

— Que vous importe, me dit-elle, et pourquoi êtes-vous frappé de cette minutie ?

— C’est que mon cœur souffre, et que vos épingles me reviennent naturellement à la mémoire.

— Je veux bien vous le dire pour vous montrer que ce n’était pas un mouvement de férocité, répondit-elle. J’entendais dire souvent, quand on parlait d’une lâcheté : « C’est n’avoir pas de sang dans le cœur », et je prenais comme réelle cette expression figurée. Ainsi, quand je