Page:Sand - La dernière Aldini. Simon.djvu/87

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bras, et me toisant d’un air de défi :

— Monsieur reviendra demain ? dit-elle en me voyant fermer le piano et prendre mon chapeau.

— Je n’y manquerai certainement pas, répondis-je en la saluant jusqu’à terre.

Elle continua à tenir son cousin immobile à l’entrée de la salle, jusqu’à ce que, forcé de passer devant eux pour me retirer, je les saluai de nouveau en regardant cette fois ma Bradamante avec une assurance digne de la lutte qui s’engageait. Une étincelle de courage jaillit de son regard. J’y lus clairement que mon audace ne lui déplaisait pas, et que la lice ne me serait pas fermée.

Aussi je fus à mon poste le lendemain avant midi, et je trouvai l’héroïne au sien, assise au piano et frappant les touches muettes ou grinçantes avec une impassibilité admirable, comme si elle eût voulu me prouver par cette diabolique symphonie la haine et le mépris qu’elle avait pour la musique.

J’entrai avec calme et la saluai avec autant de respectueuse indifférence que si j’eusse été en effet l’accordeur de piano. Je posai trivialement mon chapeau sur une chaise, j’ôtai péniblement mes gants, imitant la gaucherie d’un homme qui n’est pas habitué à en porter. Je tirai de ma poche une boîte de sapin remplie de bobines de laiton, et je commençai à en dérouler la longueur d’une corde, le tout avec gravité et simplicité. La signora allait toujours battant d’une manière impitoyable le malheureux piano, qui ne rendait plus que des sons à faire fuir les barbares les plus endurcis. Je vis alors qu’elle se divertissait à le fausser et à le briser de plus en plus, afin de me donner de la besogne, et je trouvai dans cette espièglerie plus de coquetterie que de méchanceté ; car elle paraissait assez disposée à me tenir compagnie. Alors je lui dis du plus grand sérieux :

— Votre Seigneurie trouve-t-elle que le piano commence à être d’accord ?