Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/39

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

bière, aussi incolores que leur café. Les loges n’étaient pas mieux traitées. — Je sais que j’ai mal chanté et encore plus mal joué, disait-il à la Boccaferri, comme pour répondre à une objection qu’elle lui aurait faite avant mon arrivée ; mais soyez donc inspiré devant trois rangées de sots diplomates et d’affreuses douairières ! Maudite soit l’idée qui m’a fait choisir Vienne pour le théâtre de mes débuts ! Nulle part les femmes ne sont si laides, l’air si épais, la vie si plate et les hommes si bêtes ! En bas, des abrutis qui vous glacent ; en haut, des monstres qui vous épouvantent ! Par tous les diables ! j’ai été à la hauteur de mon public, c’est-à-dire insipide et détestable !

La naïveté de ce dépit me réconcilia avec Célio. Je lui dis qu’en qualité d’Italien et de compatriote, je réclamais contre son arrêt, que je ne l’avais point écouté froidement, et que j’avais protesté contre la rigueur du public.

À cette ouverture, il leva la tête, me regarda en face, et, venant à moi la main ouverte : « Ah ! oui ! dit-il, c’est vous qui étiez à l’avant-scène, dans la loge de la duchesse de…. Vous m’avez soutenu, je l’ai remarqué ; Cécilia Boccaferri, ma bonne camarade, y a fait attention aussi…. Cette haridelle de duchesse, elle aussi m’a abandonné ! mais vous luttiez jusqu’au dernier moment. Eh bien, touchez là ; je vous remercie. Il paraît que vous êtes artiste aussi, que vous avez du talent, du succès ? C’est bien de vouloir garantir et consoler ceux qui tombent ! cela vous portera bonheur ! »

Il parlait si vite, il avait un accent si résolu, une cordialité si spontanée, que, bien que choqué de l’expression de corps de garde appliquée à la duchesse, mes récentes amours, je ne pus résister à ses avances, ni rester froid à l’étreinte de sa main. J’ai toujours jugé les gens à ce signe. Une main froide me gêne, une main