Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/23

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tourner les choses ? Tant plus elles ont duré, tant plus elles doivent durer encore, et ce qui a été de tout temps ne peut pas être changé. Mais laissons ça, signe ton bail, et tu seras métayer. Écoute, mon gars ! ça n’est pas un petit trouble que de soigner les bestiaux. Je t’ai donné toutes les connaissances que j’ai pour la nourriture et le pansement ; mais il y a le secret, que je ne t’ai pas donné encore, et voilà le moment venu !

PIERRE. — Le secret ? Ah oui ! vous me l’avez toujours promis, et nous voilà seuls. La nuit vient… et puisque je vas être métayer… j’ai droit au secret, pas vrai, père ?

GERMAIN. — Oui, tu y as droit. Mais le soleil n’est pas encore couché tout à fait, et le secret ne peut pas se dire tant qu’on en voit un petit morceau. Asseyons-nous là sous le hêtre… un bel arbre, ma foi, et que ces paresseux d’artistes n’ont pas encore pensé à faire enlever ! C’est à eux, ça, pourtant, et ça devrait être dépecé et rangé sous leur hangar ; mais c’est si bête, ce monde-là : ça ne connaît rien.

PIERRE. — Bah ! c’est des bons enfants, ça rit et ça chante toujours. Ça n’a rien dans la tête, c’est vrai, mais ça n’est ni fier, ni méchant, et ça ne fait pas les monsieux !

GERMAIN. — C’est leur tort ; c’est des bourgeois ! Chacun doit tenir son rang.

PIERRE. — Voilà le soleil couché, mon père ; dites-moi le secret.

GERMAIN. — Faut d’abord connaître ce que c’est que le secret.

PIERRE. — Oh ! je le sais. C’est ce qui a été dit dans l’oreille, du père au fils, depuis que le monde est monde.

GERMAIN. — C’est pourquoi il s’agit de le bien garder ! Autrement…

PIERRE. — Autrement ça ne sert plus de rien et tourne même contre vous. Oh ! je sais ça, et n’ai point envie de le trahir.

GERMAIN. — Même dans le vin ! Celui qui trahit le secret dans le vin court de grands risques le soir en rentrant chez lui. Voyons, tu vas jurer par…