Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/367

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comme un outrage à ma religion intime et sacrée !… Une fois, une seule fois dans ma vie… je veux vous raconter cela, Caroline, j’ai aimé…

— Ne me le racontez pas ! s’écria-t-elle ; je ne veux rien savoir.

— Vous devez tout savoir au contraire. Elle était bonne et douce, et mon souvenir peut sans effort la respecter et la bénir dans la tombe ; mais elle ne pouvait pas m’aimer. C’était la faute de sa destinée et non la sienne. Il n’y a point en moi de reproche contre elle, il y en a beaucoup contre moi-même. Je me suis beaucoup haï et beaucoup puni d’avoir cédé à une passion qui n’était ni permise ni réellement partagée. Je ne me suis réconcilié avec la vie qu’en voyant fleurir en vous la vie dans son expression la plus belle et la plus pure. J’ai compris alors pourquoi j’étais né dans les larmes, pourquoi j’avais été destiné à aimer, et condamné à aimer trop tôt, et mal, et dans le péché, en appelant trop ardemment le rêve et le but de ma vie ! Et à présent je me sens à jamais réhabilité et sauvé. Je sens que mon être va retrouver son équilibre, ma jeunesse ses espérances, et mon cœur son aliment naturel. Ayez confiance en moi, vous que le ciel m’a envoyée ! Vous savez bien qu’il nous avait faits l’un pour l’autre. Vous l’avez bien senti mille fois, en dépit de vous-même, que nous n’avions qu’un esprit et une pensée à nous deux, que nous aimions les mêmes idées, les mêmes arts, les mêmes noms, les mêmes êtres et les mêmes choses, sans agir