Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/115

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vîntes à bout de vous astreindre au travail, et vous eûtes bientôt repris votre bonne humeur et votre franche gaieté, avouez-le !

— Grâce à toi, brave Janille, car toi, tu ne m’abandonnas point. Nous allâmes habiter Gargilesse, avec Jean Jappeloup, et le digne homme me trouva de l’ouvrage.

— Quoi, dit Émile, vous avez été ouvrier, monsieur le comte ?

— Certainement, mon jeune ami. J’ai été apprenti charpentier, garçon charpentier, aide-charpentier au bout de quelques années, et il n’y a pas plus de deux ans que vous m’eussiez vu une blouse au dos, une hache sur l’épaule, allant en journée avec Jappeloup.

— C’est donc pour cela, dit Émile tout troublé, que… Il s’arrêta, n’osant achever.

« C’est pour cela, oui, je vous comprends, répliqua monsieur Antoine, que vous avez entendu dire : “Le vieux Antoine s’est déconsidéré grandement pendant sa misère ; il a vécu avec les ouvriers, on l’a vu rire et boire avec eux dans les cabarets. » Eh bien, cela mérite un peu d’explications et je ne me ferai pas plus tort et plus pur que je ne suis. Dans les idées des nobles et des gros bourgeois de la province, j’aurais mieux fait sans doute de demeurer triste et grave, fièrement accablé sous ma disgrâce, travaillant en silence, soupirant à la dérobée, rougissant de toucher un salaire, moi qui avais eu des salariés sous mes ordres, et ne me mêlant point le dimanche à la gaieté des ouvriers qui me permettaient de joindre mon travail au leur durant la semaine. Eh bien, j’ignore si c’eût été mieux ainsi, mais je confesse que cela n’était pas du tout dans mon caractère. Je suis fait de telle sorte, qu’il m’est impossible de m’affecter et de m’effrayer longtemps de quoi que ce soit. J’avais été élevé avec Jappeloup et avec d’autres petits paysans de