Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/215

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oiseaux jouant parmi les guirlandes de fleurs, des monstres infernaux poursuivant des âmes éperdues à travers un réseau de feuilles de lierre ; et ces grosses têtes de lions qui semblent gronder à tous les angles, et tous ces bas-reliefs, toutes ces figurines, tous ces festons ; et tout ce mouvement d’êtres divers qui semblent vivre, courir, fuir, danser, chanter ou méditer sur le bois inanimé… oh ! à la vue de toutes ces merveilles d’un temps où l’art ennoblissait le métier, je me suis senti transporté dans un autre monde, et de grosses larmes étaient prêtes à s’échapper de mes yeux. Heureux, trois fois heureux, pensai-je, l’ouvrier qui a pu à sa fantaisie animer ces lambris de sa propre vie, et faire sortir des flancs bruts du chêne le peuple chéri de ses rêves ! Et comme les ombres du soir commençaient à descendre, il me sembla que je voyais s’agiter autour de moi des légions de petits fantômes qui s’en allaient rampants sur les panneaux, s’accrochant aux corniches, et se débattent avec les antiques créations de l’artiste. Les archanges embouchaient la trompette ; les péchés capitaux, monstres fantastiques, fourrageaient dans l’acanthe épineuse ; et les belles vierges chrétiennes se jouaient parmi les lis tranquilles, tandis que les moines prévaricateurs, satyres avinés, tiraient la barbe des graves théologiens. J’étais ivre moi-même, j’étais fou. Plus j’essayais de reprendre mes sens, plus ma vision grandissait et s’animait autour de mes tempes ardentes. Il me semblait que tous ces gnômes, tous ces follets, sortaient de ma tête, et de mes mains, et de mes poches. J’allais courir après eux, essayant de les rattraper, de les remettre en ordre, de les incruster dans le bois, respectueux et muets dans les places vides et dans les niches abandonnées que le temps leur avait creusées à côté de leurs ancêtres, quand la voix du Berrichon m’arracha à cette hallucination. Il n’entraîna en me met-