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LE COMPAGNON

l’aurais fait si je ne vous avais pas rencontrée ; il est bien vrai aussi que j’ai brisé le plus fidèle et le plus généreux cœur qui fut jamais, pour en conserver un qui me dédaigne et m’échappe à chaque instant. Mais soyez tranquille ; quoique je sente ma folie, quoique je sois certain d’être brisé un jour par vous à mon tour, je vous adore et je n’aime plus la Savinienne. C’est en vain que je rougis de ma conduite, c’est en vain que je voudrais réparer mon crime : c’est pour moi un supplice affreux que de la voir, et, lorsque Pierre me traîne auprès d’elle, j’y compte les minutes que je voudrais passer avec vous.

— Et alors, dit la marquise en secouant la tête d’un air d’incrédulité, cette femme généreuse et fidèle, que vous ne daignez pas seulement regarder, se jette par désespoir dans les bras de votre ami Pierre, et se console avec lui de votre abandon ?

Le Corinthien fut outré de cette accusation. Il n’aurait jamais pensé que le vanité froissés pût donner à Joséphine des pensées aussi mauvaises et de tels accès de méchanceté. Il en fit la cruelle épreuve ; car, dans son indignation, il défendit chaudement la Savinienne, et, poussé à bout par les sarcasmes amers de la marquise, il se laissa entraîner jusqu’à rabaisser celle-ci pour exalter sa rivale. Alors Joséphine entra en fureur, eut de véritables attaques de nerfs et ne s’apaisa que lorsque, brisée de fatigue, épuisée de larmes, elle eut jeté à ses pieds son amant, égaré et brisé comme elle.

Ces orages se renouvelèrent la nuit suivante, et furent plus violents encore. Joséphine chassa le Corinthien de sa chambre, et, quand il fut dans le passage secret, elle eut de tels sanglots et de tels délires, qu’il revint sur ses pas pour la défendre contre elle-même. Ils se réconcilièrent pour se brouiller encore ; et, dans ces tristes convulsions d’un amour que la foi ne dominait plus, il y eut de