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DU TOUR DE FRANCE.

en songeant que l’heure de la retraite était sonnée dans le château, et que peut-être mademoiselle de Villepreux allait descendre dans son cabinet d’étude, comme cela lui arrivait souvent de onze heures à minuit, il se mit à ramasser et à rassembler ses outils pour s’en aller, fidèle au respect qu’il lui avait juré dans son âme. Mais, au moment où il se baissait pour prendre le sac de cuir où étaient ses instruments de travail, il sentit une main se poser doucement sur son épaule, et, en relevant la tête, il vit mademoiselle de Villepreux rayonnante d’une beauté qu’elle n’avait jamais eue avant ce jour-là. Toute son âme était dans ses yeux, et cette force qu’elle comprimait toujours au fond d’elle-même éclatait en elle à cette heure, sans qu’elle cherchât à la reprendre. C’était comme une transfiguration divine qui s’était opérée dans tout son être. Pierre l’avait vue souvent exaltée, mais toujours un peu mystérieuse, et, dans tout ce qui avait rapport à leur amitié, s’exprimant par énigmes ou par réticences. Il la vit en cet instant comme une pythie prête à répandre ses oracles, et, transporté lui-même d’une confiance et d’une force inconnue, pour la première fois de sa vie il prit la main d’Yseult dans la sienne.

— Mon escalier est fini, lui dit-il ; c’est vous qui, la première, poserez votre main sur cette rampe.

— Ne parlez pas si haut, Pierre, lui dit-elle. Pour la première et la dernière fois de ma vie, j’ai un secret à vous dire ; un secret qui demain n’en sera plus un. Venez !

Elle l’attira dans son cabinet, dont elle referma la porte avec soin ; puis elle parla ainsi :

— Pierre, je ne vous demande pas, comme le Corinthien faisait tout à l’heure, si vous êtes amoureux de moi. Entre nous deux, ce mot me paraît insuffisant et puéril. Je ne suis pas belle, tout le monde le sait ; je ne sais pas si vous êtes beau, quoique tout le monde le dise. Je n’ai