Page:Sand - Les Beaux Messieurs de Bois-Dore vol1.djvu/56

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— Nullement, répondit-elle ; il faut que vous sachiez que notre cher marquis fait sa nourriture favorite du roman de M. d’Urfé, et qu’il le sait quasi par cœur.

— Comment faire accorder ces goûts de belle passion avec ceux de l’ancienne cour ?

— C’est bien aisé. Quand notre ami était jeune, il aimait, dit-on, toutes les dames. En vieillissant, son cœur s’est refroidi ; mais il prétend cacher cela, comme il croit cacher ses rides, en feignant d’avoir été converti à la vertu des beaux sentiments par l’exemple des héros de l’Astrée. Si bien que, pour s’excuser de ne faire la cour à aucune belle, il se vante d’être fidèle à une seule qu’il ne nomme point, que personne n’a jamais vue et ne verra jamais, par la bonne raison qu’elle n’existe que dans son imagination.

— Est-il possible qu’à son âge il se croie encore forcé de feindre l’amour ?

— Il le faut bien, puisqu’il veut passer pour jeune. S’il avouait que les femmes lui sont devenues aussi indifférentes les unes que les autres, pourquoi prendrait-il la peine de se barbouiller la figure et de porter de faux cheveux ?

— Vous pensez donc qu’il n’est pas possible d’être jeune sans être épris de quelque femme ?

— Cela, je n’en sais rien, répondit gaiement madame de Beuvre ; je n’ai point d’expérience et ne connais pas le cœur des hommes. Mais j’entends quelquefois dire qu’il en est ainsi, et M. de Bois-Doré semble en être persuadé. Que vous en semble, à vous, messire ?

— Il me semble, dit d’Alvimar, curieux des opinions de la jeune dame, que l’on peut vivre longtemps d’un amour passé, en attendant un amour à venir.

Elle ne répondit pas et regarda le ciel avec ses beaux grands yeux bleus.