Page:Sand - Les Beaux Messieurs de Bois-Dore vol2.djvu/123

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— Y a-t-il longtemps qu’il ne vous a vu ?

— Diable ! oui ! quelque chose comme vingt ou trente ans… peut-être davantage !

— Eh bien, c’est bon ! Montrez-vous sans crainte ; faites l’aubergiste, et nous trouverons moyen de fuir.

— Ce ne sera pas possible, mon enfant, dit le marquis en continuant à se déshabiller. Nous avons affaire à de rusés compères. Imaginez-vous qu’ils sont venus sans plus de bruit que si c’eût été une troupe de mulets marchant au pas et conduits par un seul homme. Je ne me méfiais pas ; l’hôtesse dormait au coin de son feu ; moi, j’étais dans la salle, lisant l’Astrée en attendant l’heure.

— Cachons l’Astrée ! Les cuisiniers ne lisent pas des livres reliés en soie, dit Mario en saisissant le volume, que le marquis avait posé machinalement près de son chapeau, en prenant possession de la chambre de l’aubergiste.

Et, en même temps, à mesure que le marquis se dépouillait d’une pièce de son habillement, l’enfant la cachait sous les fagots d’un petit grenier voisin.

— Mais, toi, mon pauvre enfant, reprenait le marquis agité comme l’on peut croire, ils ne t’ont donc pas reconnu pour un gentilhomme ? Ils ne t’ont pas fait de mal, mon Dieu ?

— Non, non ; parlons de toi, mon père. Tu n’as donc pas essayé de sortir avant qu’ils eussent posé leurs sentinelles ?

— Non, sans doute. Je ne me doutais de rien ! Ils faisaient si peu de bruit que j’ai cru à une halte de muletiers, et c’est quand ils ont eu bloqué la maison qu’ils ont élevé un peu la voix, et que j’ai vu, à travers la fenêtre, que j’étais pris dans un traquenard par la pire