Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/354

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glots. N’importe ! dites-moi la vérité, je veux la savoir à présent ! Dites-moi qui il aime…

— Toi, toi seule au monde, m’écriai-je en la serrant dans mes bras, où elle s’évanouit suffoquée par le bonheur.

Je n’étais pas beaucoup plus fort qu’elle. Nos bien-aimés parents durent nous soutenir tous deux. Ils nous firent asseoir à leur place et s’éloignèrent. Ils étaient aussi heureux que nous.

Je me souviendrai toujours de cette première effusion de nos âmes comme d’un rêve dans quelque île enchantée, en dehors des limites du monde possible. Nous n’appartenions plus à la réalité, cette réalité qui avait été si longtemps comme un mur entre nous. Il est peu d’enfants élevés ensemble qui ne se soient trop connus pour s’idéaliser mutuellement. Ce n’est pas seulement une moralité dès longtemps établie qui les préserve de s’aimer trop, c’est aussi l’habitude de se voir sans illusion. Il se trouva, quant à moi, que Jeanne était un être si parfait et si pur, que je ne pouvais lui en comparer aucun autre dans mes souvenirs. Quant à elle, qui n’avait jamais été dupe de notre parenté, elle s’était attachée à moi invinciblement et n’avait jamais pu admettre que je ne dusse pas être à un moment donné le compagnon de sa vie entière.