Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/115

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

une famille de tout un pays, vieux et jeunes lui en savent gré et ne songent qu’à lui complaire pour la garder toujours. Ah dame ! si la demoiselle quittait son endroit, ou si elle nous amenait un maître…, c’est ça qui n’irait pas tout seul !

Ce brave jardinier résumait d’un mot une situation qui, de minute en minute, s’était révélée à mon esprit. Mademoiselle Merquem, à force de donner son temps, son argent et son grand cœur, ne s’appartenait plus. Ce n’était pas seulement Montroger qu’elle eût craint de blesser et d’affliger en songeant à vivre pour elle-même, c’était l’ex-équipage du vaisseau amiral de son grand-père ; c’était bien plus, c’étaient les trois ou quatre cents âmes qui formaient la population de la colonie.

Il me fallait donc la disputer à un petit monde jaloux, tenace, et peut-être capable de tout pour la retenir et l’accaparer. J’en pris vite mon parti, et même, plus les obstacles m’apparaissaient, plus mon désir devenait volonté, plus mon âme s’attachait à son but et le trouvait digne d’une grande lutte.

Je regardai encore le ciel. Il était trop tôt pour me montrer convenablement. Eh bien, c’était raison de plus, il fallait sortir à tout prix du petit enclos de l’habitude et de la prudence. Je saluai le jardinier, et, cessant de faire l’école buissonnière, je descendis rapidement vers les terrasses bien nivelées du nouveau parc. Je saluai aussi en passant Célio Barcot, que je croisai dans le sentier. Il ne ressemblait guère à Célio Guillaume. Il était de moyenne taille, élancé, d’un brun velouté, beau comme Endymion. Nous ne fûmes pas agréables l’un à l’autre : son salut fut contraint et son regard méfiant ; mon habit noir l’offus-