Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/248

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des gens riches, généreux, hospitaliers, qui vous attirent, et par qui on craint de se voir lâché, si on n’arrive pas à la gloire qu’ils croient avoir flairée en vous. J’ai dit : « Pas de ça, mon vieux ! Tu es obscur, tu seras toujours gueux. Tu ne sais pas t’y prendre pour enlever la redoute du succès. Tu es laid, têtu, amoureux de liberté ; reste insociable, cela vaudra mieux. »

— Et vous croyez que, même avec moi, qui ne suis ni un grand artiste, ni un riche protecteur, ni une jolie femme, cela vaudra mieux ?

— Vous, c’est différent ! vous m’ensorcelez avec vos idées de confiance, de bonté. Je voudrais être aimable pour vous répondre et vous faire comprendre que je ne suis pas un ingrat. Voilà tout ce que je sais vous dire, il faut vous en contenter ; vous verrez dans l’occasion que vous n’avez pas jeté vos perles à un pourceau.

C’était assez pour un jour. Il reprit sa toile, je le quittai ; mais il me rappela pour me tendre la main en silence, et il serra la mienne si fort, que j’en eus mal au coude toute la soirée. Il était si neuf à l’expansion, qu’il ne savait pas qu’on peut remercier son ami sans l’estropier. Je me promis de ne pas reprendre l’entretien avant qu’il y vînt de lui-même. Ce ne fut pas long. Dès le soir, en sirotant son gloria et en allumant son cigare :

— Armand ! me dit-il brusquement, j’ai réfléchi à ce que vous m’avez dit tantôt. C’est d’un brave garçon, tout ça, il n’y a pas à dire ; cependant, ça m’a empêché de travailler. C’est assez drôle, n’est-ce pas ? mais c’est ainsi que je suis fait ! Il ne faut pas que je pense, moi, ça m’émeut, ça me distrait !…… Car vous ne croyez