Page:Sand - Mauprat.djvu/123

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long, à la place du beau visage d’Edmée ; puis elle tira son ouvrage de sa poche et se mit à tricoter tranquillement. Pendant ce temps, les oiseaux gazouillaient, le chevalier toussait, Edmée dormait ou faisait semblant de dormir, et j’étais à l’autre bout de l’appartement, la tête penchée sur les estampes d’un livre que je tenais à l’envers.

Au bout de quelque temps, je m’aperçus qu’Edmée ne dormait pas, et qu’elle causait à voix basse avec sa suivante ; je crus voir que celle-ci me regardait en dessous de temps en temps et comme à la dérobée. Pour éviter l’embarras de cet examen, et aussi par un instinct de ruse qui ne m’était pas étranger, j’appuyai mon visage sur le livre, et le livre sur la console, et, dans cette posture, je restai comme endormi ou absorbé. Alors elles élevèrent peu à peu la voix, et j’entendis ce qu’elles disaient de moi :

— C’est égal, mademoiselle a pris un drôle de page.

— Leblanc, tu me fais rire avec tes pages. Est-ce qu’on a des pages à présent ? Tu te crois toujours avec ma grand’mère. Je te dis que c’est le fils adoptif de mon père.

— Certainement, M. le chevalier fait bien d’adopter un fils ; mais où diable a-t-il pêché cette figure-là ?

Je jetai un regard de côté et je vis qu’Edmée riait sous son éventail ; elle s’amusait du bavardage de cette vieille fille, qui passait pour avoir de l’esprit et à qui on laissait le droit de tout dire. Je fus très blessé de voir que ma cousine se moquait de moi.

— Il a l’air d’un ours, d’un blaireau, d’un loup, d’un milan, de tout plutôt que d’un homme ! continua la Leblanc. Quelles mains ! quelles jambes ! et encore ce n’est rien à présent qu’il est un peu décrassé ! Il fallait le voir le jour où il est arrivé avec son sarrau et ses guêtres de cuir ; c’était à faire trembler !

— Tu trouves ? reprit Edmée. Moi, je l’aimais mieux