Page:Sand - Mauprat.djvu/98

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un peu brusques ; et le pauvre homme était si grêle qu’il ne pesait pas plus dans ma main qu’une belette n’eût fait dans la sienne. Patience était debout devant moi, les bras croisés, dans une attitude de philosophe stoïcien ; mais son regard laissait jaillir la flamme de la haine. Il était évident que, retenu par ses principes d’hospitalité, il attendait, pour m’écraser, que je lui eusse porté le premier coup. Je ne l’eusse pas fait attendre, si Edmée, méprisant le danger qu’il y avait à s’approcher d’un furieux, ne m’eût saisi le bras en me disant d’un ton absolu :

— Rasseyez-vous, tenez-vous tranquille, je vous l’ordonne.

Tant de hardiesse et de confiance me surprit et me plut en même temps. Les droits qu’elle s’arrogeait sur moi étaient comme une sanction de ceux que je prétendais avoir sur elle.

— C’est juste, répondis-je en m’asseyant.

Et j’ajoutai en regardant Patience :

— Cela se retrouvera.

— Amen, répondit-il en levant les épaules.

Marcasse s’était relevé avec beaucoup de sang-froid, et, secouant les cendres dont il était sali, au lieu de s’en prendre à moi, il essayait à sa manière de sermonner Patience. La chose n’était pas facile en elle-même ; mais rien n’était moins irritant que cette censure monosyllabique jetant sa note au milieu des querelles comme un écho dans la tempête.

— À votre âge, disait-il à son hôte, pas patient du tout ! Tout le tort, oui, tort, vous !

— Que vous êtes méchant ! me disait Edmée laissant sa main sur mon épaule ; ne recommencez pas, ou je vous abandonne.

Je me laissais gronder par elle avec plaisir, et sans m’apercevoir que, depuis un instant, nous avions changé