Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/144

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jours, et ma robuste santé peut accepter encore plus de travail et de fatigue que je n’en ai. Et puis… et puis ! l’inconnu ne me fait pas peur. Tu as la prévoyance du riche, toi, de l’homme qui n’a manqué de rien et qui, n’ayant plus rien, veut se relever et ne pas risquer un nouveau désastre. Le pauvre a un autre genre de prévision : il sait que, parti de rien, il est devenu quelque chose en risquant tout, et, pour conquérir le bonheur, auquel il est payé pour croire, il est prêt à traverser encore de rudes épreuves. Il compte sur cette Providence qu’on vous a appris à méconnaître en vous montrant des portefeuilles garnis d’inscriptions de rentes et en vous disant : « La Providence, elle est là ! » Eh bien, non, elle n’y est pas ! L’argent se perd ou s’épuise, l’espoir et la volonté se renouvellent.

Tout cela, c’est pour te dire que la première femme pauvre et vertueuse que j’aimerai sera ma femme, si elle m’aime, et, je te le crie du fond du cœur, cher enfant, fais ainsi : aime mademoiselle Vallier, elle est prête à t’aimer, si elle ne t’aime déjà ; ne combats pas tes bons instincts, travaille sous l’empire de l’amour et sous l’inspiration de la foi ! Oui, crois à l’amour, si tu ne peux croire à autre chose : ce sera la clef de l’édifice. L’émotion ouvrira les écluses de ton talent, et tu seras un poëte, un philosophe ou un artiste, parce que tu seras un homme.

S’il en est ainsi, comme je l’espère et le souhaite, je te promets de chérir mademoiselle Vallier comme ma sœur ; mais, comme il faudra un aliment à mon enthousiasme, je me rejetterai sur l’ermite, que j’adore déjà, vu que je sens en lui le résumé idéalisé de tous mes penchants et de toutes mes croyances.