Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/160

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son idéal optimiste l’agace un peu sans qu’il en convienne. Il est trop patient, ce digne homme, je voudrais parfois l’irriter un peu. D’autres fois je crains de l’assombrir, car, lorsqu’il parle des peines de sa vie réelle, il est d’une sensibilité presque féminine. — Au reste, je ne sais pas pourquoi je me sers de ce mot-là : les femmes n’ont qu’une sensibilité extérieure et physique. Je crois leur âme beaucoup plus froide que la nôtre.

J’ai été plusieurs fois à la Tilleraie. Mes habits d’été de l’année dernière ne sont pas de la première fraîcheur, et je suis déjà, de la tête aux pieds, un peu démodé. Je ne m’en apercevrais peut-être pas pour mon compte, mais cela se lit dans les yeux qui m’examinent curieusement. Je ne suis pas fâché de braver ce commencement de divorce avec le monde moderne, car, si mon livre fait fiasco, je serai encore plus fané et plus démodé dans un an. Et qui sait si, dans vingt ou trente ans, de fiasco en fiasco, je ne serai pas arrivé au costume suranné et à l’étrange aspect de M. Sylvestre ? Pourquoi n’y serais-je pas aussi indifférent que lui ?

La Tilleraie est une très-belle résidence, et Nuñez y reçoit beaucoup d’hommes. Quelques femmes de sa famille, vieilles et jeunes, y viennent dîner une fois par semaine avec leurs frères, leurs oncles ou leurs maris. Ce monde israélite est admirablement uni et de mœurs exemplaires. Les liens du sang y sont pris plus au sérieux que chez nous, la solidarité de race y crée l’assistance mutuelle sur des bases très-larges et très-sages ; mais ce n’est pas un monde très-gai. Ce n’est pas l’intelligence qui y manque à coup sûr, mais bien la légèreté, dont nous avons la bonne ou mauvaise ha-