Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/181

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plus irrité qu’il était plus honteux ; mais il craignait trop le bruit pour regimber, il dut garder l’insulte.

» Irène osa m’écrire que ma folie faisait échouer la dernière combinaison honnête et morale de sa vie, et que, désormais sans ressources, elle était forcée de se donner au plus offrant. Je lui envoyai les clefs de ma gentilhommière et une lettre pour mon régisseur. Je lui assurais le mince revenu qui était tout mon avoir, et je lui cédais le seul toit où j’eusse pu reposer ma tête. Elle n’était donc pas forcée de se faire courtisane ? La-dessus, je partis à pied avec soixante-trois francs, et j’allai en Suisse chercher un gagne-pain. J’y ai fait plusieurs métiers sous le nom de Sylvestre.

» J’ai été répétiteur dans un collège, secrétaire, journaliste, commis de librairie, professeur de diverses sciences, copiste, suppléant de maître d’école au besoin. J’ai toujours gagné ma vie à travers plus ou moins de privations dont je ne me suis guère aperçu ; mon esprit avait été trop endolori pour que le corps fût resté bien sensible. J’ai su là-bas qu’Irène avait acquis une brillante renommée et fait une solide fortune ! Elle n’a pourtant pas dédaigné de toucher mon petit revenu et de louer ma maisonnette, peut-être dans l’espoir qu’elle me verrait m’avilir au point de lui demander l’aumône. Son système a toujours été celui-ci : que personne ne supporte volontairement la misère. J’ai résolu delà faire mentir. J’ai amassé péniblement par mon travail le capital de trois cents francs de rente, et, sur mes vieux jours, malade du désir de revoir la France et menacé de perdre la vue si je ne prenais du repos, je suis venu chercher, à proximité de Paris, un coin où je pusse vivre libre sans être trop isolé. Je n’avais plus besoin de changer de nom,