Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/249

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page n’a pas encore été corrigée

regardée à son tour avec étonnement. « Est-ce de l’amour qu’elle a pour moi ? me disais-je ; est-ce de l’aversion ? Et, si c’était de l’amour, serais-je vaincu ? » On est venu nous interrompre. J’aurais dû partir au bout d’un quart d’heure, car je me sentais tout tremblant. Pourquoi suis-je resté ? Elle était si belle, ce soir, avec ses cheveux en désordre qu’elle n’a pas pris la peine de lisser en rentrant, avec ses yeux ardents, sa bouche éblouissante toute pleine de mots caressants ou amers ! Il y a du sphinx dans cette tête d’enfant gâté. Mademoiselle Vallier n’a pas reparu, elle a fait dire qu’elle avait des lettres à écrire. Nous étions seuls avec Gédéon, qui paraissait tourmenté de son absence et qui a lu les journaux toute la soirée en pensant à autre chose. Ses sœurs ont fait galerie un moment pour rire des excentricités de Jeanne, qui tantôt s’efforçait de me railler ou de me flatter, et tantôt se mettait au piano pour le labourer avec furie. Une de ces respectables demoiselles s’est endormie quand même. L’autre, qui est plus nerveuse, a trouvé que Jeanne lui écorchait les oreilles et s’est sauvée ; j’avoue que j’avais aussi les nerfs très-malades, et que, me trouvant seul un moment avec elle, je me suis approché du piano avec la volonté de le lui fermer sur les doigts. J’étais perdu, si j’eusse cédé à ce mouvement d’impatience. Elle le provoquait. Elle voulait me voir colère, brutal peut-être, afin de se fâcher à son tour, ou de pleurer, que sais-je ? Il y avait dans toutes ses paroles, dans tous ses mouvements une fièvre d’amour ou une rage de coquetterie. Ô vanité ! j’ai failli m’y laisser prendre : heureusement, j’ai eu une meilleure inspiration, j’ai feint de m’endormir comme mademoiselle Noémi Nuñez. Et, comme j’étais tourné