Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/255

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aussi que j’en remercie la généreuse hospitalité de mes semblables, car tout le monde n’est pas autorisé à pénétrer dans ces herbages. En qualité de pauvre discret, j’ai la permission d’aller partout. On sait comme j’aime la beauté des plantes, comme je mesure et dirige mes pas pour ne pas fouler l’herbe, et comme je respecte les petits rejets des arbres. N’est-ce pas là un privilège quasi royal ? Toute la vallée m’appartient, et, quand le paysan jaloux et un peu despote vient à moi d’un air menaçant, sitôt qu’il me reconnaît, il sourit et me confirme mon droit en me disant :

» — Tiens, c’est vous, monsieur Sylvestre ? Alors, c’est bon, c’est bon ; restez tranquille, on ne vous dit rien.

» Je vous demande un peu quel est le potentat à qui Jacques Bonhomme a jamais d’aussi bon cœur prêté foi et hommage.

» C’est ici, continua-t-il, une de mes retraites favorites. Voyez, à cent pas de nous, comme le ruisseau est gracieux en se laissant tournoyer mollement dans cette déchirure du terrain ! C’est lui qui a dévasté cette petite rive ; il lui a plu, après avoir glissé, docile et muet, dans les prairies, de faire ici une légère pirouette et d’y amasser un peu de sable pour y sommeiller un instant avant de reprendre sa marche silencieuse et mesurée. Tout s’est prêté à son innocente fantaisie, la berge s’est élargie, les iris et les argentines se sont approchées pour jouer avec l’eau, les aunes se sont penchés pour l’ombrager, et l’homme, en établissant là un gué, lui a permis de s’étendre et de repartir sans effort. Il y a dans tout cela une mansuétude que l’on ne trouve pas dans la grande culture des plaines ou dans la lutte avec les grands cours d’eau. La petite culture a bien ses petits enne-