Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/256

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page n’a pas encore été corrigée

mis ; mais elle s’arrange avec eux et leur cède quelque chose pour recevoir quelque chose en échange. Si ce ruisseau était mieux réglé dans son cours, ce pré serait moins frais et moins vert, de même que, si ces roches qui en mangent une partie étaient extirpées du sol, le sol, effondré par les pluies, s’en irait combler et détourner le lit du ruisseau. Plus tard… (vous savez, je dis toujours ce mot-là, qui est tout mon fonds de réserve contre les choses mauvaises du présent), plus tard, l’homme comprendra qu’il ne faut pas tant dénaturer la terre pour s’en servir, et que l’on pourrait concilier le beau avec l’utile ; mais ce n’est pas d’agriculture que je voulais vous parler. J’ai en tête, depuis quelques jours, de savoir où vous en êtes, et de reprendre avec vous notre discussion sur le bonheur.

— Eh bien, monsieur Sylvestre, je crois à présent que le bonheur existe.

— Bon ! Et à quoi vous êtes-vous aperçu de cela ?

— À la privation de certains biens qui m’ont paru constituer pour les autres, non pas seulement des éléments de bonheur, mais le bonheur lui-même.

— Vous avez reconnu alors l’excellence de certains dons de Dieu, dons tellement précieux, qu’ils peuvent, à un moment donné, nous faire oublier toutes les misères de la vie ?

— S’ils n’avaient cette vertu qu’à un moment donné, ils seraient trop fugitifs pour être le bonheur.

— Oh ! quels progrès vous avez faits, mon cher père ! Vous en voilà venu à penser avec moi qu’il y a une telle somme de bonheur répandue dans le fait de l’existence et dans l’exercice de la vie, que l’homme sera heureux le jour où il saura l’être ?