Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/257

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— Je ne vais pas encore si loin ; les hypothèses ont toutes une base qui leur permet de s’établir, et je ne me permets aucune hypothèse, n’ayant pas encore des bases assez solides dans l’esprit. Je n’en suis encore qu’à l’expérience personnelle et aux réflexions successives qu’elle fait naître ; mais je crois avec vous que certains hommes peuvent être heureux quand ils ont découvert où gît leur idéal.

— Certains hommes ? s’écria M. Sylvestre un peu indigné. Oh ! ne dites pas cela ! Tous ont des droits égaux, et Dieu ne consacre pas les privilèges.

— Voilà où je ne puis encore vous suivre. Les doctrines du socialisme humanitaire, qui, plaçant le bonheur tout à fait en dehors de l’individu, le font consister dans l’établissement d’une société idéale de leur façon, m’ont toujours semblé très-pernicieuses. Elles conduisent tout droit aux révolutions, dont à coup sûr je ne m’inquiète pas à un point de vue personnel, moi qui désormais n’ai rien à perdre et qui aurais peut-être tout à gagner dans un milieu agité et dans une éclosion d’aventures politiques ; mais je hais les révolutions qui n’aboutissent pas à l’amélioration des individus, et je ne crois pas aux sociétés meilleures que ceux qui les font. Je crois que les masses, comme on dit aujourd’hui, du moment qu’elles seraient imbues de ce principe, que la société leur doit le bonheur, quelque ignorantes ou corrompues qu’elles soient, deviendraient ivres de fureur et de tyrannie. Personne n’étant capable de ce bonheur qui veut avant tout l’ordre, le travail, le dévouement et la modestie, et tout le monde croyant en être digne, nous verrions une lutte effroyable s’établir entre la foule follement exigeante et l’éphémère dictature ou