Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/258

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l’intolérable conflit parlementaire chargé de la contenter à l’instant même et sans réserve. La civilisation périrait dans cette tourmente, et le seul refuge serait encore une fois…

— N’achevez pas, ne blasphémez pas, s’écria M. Sylvestre en interrompant l’exposé de ma proposition. Vous voulez dire que vous aimez mieux voir périr la liberté que votre vaine civilisation d’hier ou d’avant-hier ? Eh bien, moi, je dis : Périsse l’ouvrage d’hier et de ce matin plutôt que l’âme d’un peuple ! Et savez-vous ce que c’est que l’âme d’un peuple ? C’est sa volonté d’être heureux, c’est l’éternelle aspiration au bonheur qui est la promesse éternelle de Dieu à l’humanité. Les gouvernements les plus craintifs le savent bien ; car ils ne prétendent pas détruire ce rêve sacré qui seul maintient le courage des hommes et l’activité de leur industrie. Ils promettent toujours les éléments du bonheur, même quand ils en sapent la base, la liberté ! Ils se redressent même un peu contre le clergé romain quand celui-ci proclame qu’il n’y a ni repos ni bonheur à chercher sur la terre, et que le progrès est la peste des sociétés. Le pouvoir se débat alors contre les doctrines de mort et d’abrutissement, — trop tard peut-être pour ses propres intérêts, mais jamais trop tard pour faire vibrer la corde de l’énergie populaire. Faites donc attention, vous qui ne voulez pas des rêves socialistes, que vous donnez la main au mysticisme, qui n’en veut pas non plus.

Je l’interrompis à mon tour.

— Permettez, monsieur Sylvestre. Si on laissait faire le mysticisme, l’univers deviendrait un grand monastère. L’idéal de la communauté a pris naissance dans les cloîtres, et vos socialistes ne font que vouloir