Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/260

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page n’a pas encore été corrigée

lonté ne la donnera même aux hommes d’élite ; car je vous défie, fussiez-vous Socrate ou Jésus, de triompher froidement dans la gloire du supplice et de ne pas pleurer des larmes de sang sur l’aveuglement et la méchanceté des hommes qui l’infligent.

» Voyons, ajouta-t-il, vous voilà jeune, instruit, libre ; que vous manque-t-il pour être heureux ? Une philosophie comme la mienne ? Non, car, quelque riante qu’elle vous paraisse, elle ne m’inspire que l’espoir, le courage et la foi dans l’avenir de la race humaine : elle ne me donne qu’un bonheur très-relatif et troublé cent fois le jour par le spectacle du monde que j’ai sous les yeux. Je ne suis donc pas heureux. Non, mon enfant, nous ne le sommes ni l’un ni l’autre, et, si vous prétendiez que votre stoïque appréciation de la réalité suffit au repos de votre esprit et au développement de vos facultés, je ne vous croirais pas, Cherchons donc ce qui nous manque. Est-ce l’amour ? Il n’est plus de mon âge, et il est assuré au vôtre. Est-ce le bien-être ? Je suis habitué à m’en passer, et, quand même vous ne seriez pas certain d’en acquérir, vous êtes de force à vous en passer aussi. Est-ce la gloire, l’influence, un peu d’autorité sur les autres ? Vous êtes plus sérieux que cela, et, moi, je n’y ai jamais songé. Nous sommes donc des gens assez forts, des philosophes convenablement trempés : qui trouvera son bonheur en lui-même, si nous ne l’y trouvons pas ?

» Eh bien, nous ne l’y trouvons pas complet et assuré, parce que son complément indispensable est en dehors de nous, parce qu’il n’y a pas de lien volontaire et solide entre nous et les autres nous qui composent la société où nous vivons, et parce que, eus-