Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/261

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sions-nous ce lien, cet idéal d’une société parfaite en France, il nous manquerait encore pour la solidifier le concours d’autres sociétés fondées sur les mêmes bases, la fraternité européenne. Et, après cela encore, il faudrait à l’Europe la fraternité universelle. Tant que des sociétés protesteront contre le principe, le principe aura à lutter, et toute lutte trouble le vrai bonheur quand elle ne l’exclut pas. Quelle satisfaction espérez-vous retirer de votre semblable, si vous sentez en lui un ennemi ? Avec la loi du chacun pour soi, nous sommes tous ennemis les uns des autres, et, sous ce rapport, nous vivons encore à l’état sauvage. Nous nous arrachons les membres de la proie, et, si nous l’osions, nous nous tuerions les uns les autres pour faire de la place aux besoins inassouvis. Où est le bonheur d’être riche, s’il faut toujours craindre d’être dévalisé par les voleurs ou exploité par les intrigants ? Où est la sécurité de l’amour, cette chose infiniment précieuse et rare à l’état complet, si autour de vous les ardeurs mal contenues, l’amitié sans foi, le désir sans respect, les convoitises sans pudeur, menacent sans cesse le trésor que vous cachez en vain ? Où est le bonheur de faire le bien quand chacun voit l’insuffisance effrayante de ses ressources et la mine inépuisable de la misère ? Quand vous avez donné à un pauvre, il en arrive cent autres à qui vous ne pouvez donner, ou à qui vous ne pouvez donner que le pain du corps, sans espoir de détruire en eux l’abaissement et les vices du désespoir. Où est l’enivrement de la gloire, d’un succès quelconque, quand vous sentez l’irritation de vos rivaux et la haine qui vous attend ? Où est la jouissance de contempler et d’étudier la nature quand vous savez que tant d’yeux et d’intel-