Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/262

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ligences sont fermés à ses bienfaits et à ses clartés ?

» J’énumérerais ainsi tous les éléments dont se compose le bonheur individuel, et j’aurais cent mille fois trop d’exemples et de preuves pour vous montrer que le manque d’association dans les intérêts et, par conséquent, dans les sentiments rend à peu près nulle la somme de bonheur que chacun pourrait trouver en soi. Vous me faites l’effet d’un homme qui prétendrait faire couler un fleuve en isolant chaque goutte d’eau dans un récipient particulier. L’humanité est un seul être, et, pour que chaque parcelle animée de cet être concoure au développement et à la durée de sa vie, il faut des conditions générales et absolues de vie pour l’être entier. C’est par là seulement que chacune de ses molécules vivra de la vie qui lui est propre et pourra remplir la fonction particulière qui lui est assignée. Quand je vois combien nous sommes loin de ces conditions vitales, je renonce à l’idée du bonheur sur la terre, je ne le vois possible ni en moi ni en dehors de moi, et il y a des jours où, anéanti, je me cache dans les rochers, appuyant ma tête endolorie et mes mains épuisées sur leurs flancs arides, comme pour leur demander l’admirable privilège dont ils jouissent, celui de savoir attendre sans impatience et sans crainte la longue transformation des choses. Voilà pourquoi j’aime les pierres. Elles se désagrègent sans souffrir, et souvent je voudrais être calme et patient comme elles ; mais la forte virtualité qui est dans l’homme reprend le dessus, et, instruit par l’imposante majesté des choses inertes, ce réservoir inépuisable des choses qui doivent vivre, je sens la foi me ranimer. Je m’exerce à la science de l’attente, c’est-à-dire à la certitude des ressources de mon espèce, et