Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/280

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de quelque chose que je ne veux ni ne dois éprouver pour mademoiselle Vallier, mais qu’elle eût pu me faire connaître, si la destinée m’eût permis de lui offrir une vie aisée et solide, au lieu des éventualités du travail au jour le jour.

N’importe, je lui sais un gré infini de m’avoir — à son insu — révélé la notion d’une faculté que j’ignorais, et sans laquelle mon travail sur le bonheur fût resté incomplet, glacé, erroné peut-être ! Ah ! pauvre homme de lettres ! voilà ta destinée, à toi : regarder vivre les autres, analyser les ressorts de leur existence, en découvrir attentivement les principaux mobiles, plaindre leurs déceptions ou applaudir à leurs triomphes, et faire de tout cela… un livre !

Enfin ! je sais à cette heure non-seulement que l’amour est quelque chose, mais encore que c’est une très-grande chose. J’y rêve avec attendrissement dans mes promenades solitaires. J’ai repris en amitié ma jolie petite vallée. Il y a entre le sol aplani qui borde le ruisseau et les collines abruptes qui ferment l’horizon, des mouvements qu’on pourrait appeler les sous-collines, et qui font l’horizon encore plus resserré quand on est assis au bas de leurs molles déclivités. Il n’y a là que de l’herbe, des saules blancs trapus, étageant leurs grosses boules de feuillage argenté sur un fond de prairie éclatant de fraîcheur, et un peu plus haut des zones d’arbres fruitiers d’un ton sombre, se détachant sur les lignes bleues des arbres forestiers étages aussi plus haut et plus loin : tout un paysage de verdure, sans maisons, sans chemins, sans diversion au sentiment de la solitude où l’on est et de l’oubli où l’on peut vivre. C’est là une impression qui s’accuse beaucoup dans ces régions de pâturages où