Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/288

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enchantée, était inabordable ; je n’avais pas de navire ! À présent, j’ai au moins une barque ; et pourquoi ne lutterais-je pas contre la flotte de Gédéon ? — Car elle ne l’aime pas, je le sentais bien, et à présent je le sais, l’ermite me l’a dit. Il croit qu’elle n’aime personne ; je le crois aussi ; mais qui sait ? Je n’ai jamais cherché à gagner sa confiance, je ne lui ai jamais laissé soupçonner que j’étais ému auprès d’elle, et que loin d’elle je ne pensais qu’à elle ; n’est-ce pas mon droit de le lui dire à présent ? Si je ne lui apporte pas l’opulence, j’apporte du moins, non-seulement le courage et une certaine capacité, mais encore l’aisance modeste et la certitude du nécessaire. La misère, c’est bien plutôt la crainte du lendemain que la souffrance du présent. Dans le mariage, tout est lendemain, tout est prévision, et le bonheur d’être père est étouffé par l’appréhension de laisser des orphelins sans ressources. Pourquoi donc n’aurais-je pas une femme et des enfants, moi qui ne suis ni galant, ni libertin, ni coureur d’aventures, ni possédé de la vanité du vice ? J’ai un état, je suis un homme, un peu plus par mon humble talent que le premier venu, et sûr de ne pas être un lâche, un étourdi ou un sot. Il faudrait être aimable, je ne le suis pas, je ne l’ai jamais été. Je ne m’appartenais pas : j’étais méfiant, hautain, farouche, comme sont forcés de l’être ceux qui ne veulent ni tromper ni mendier ; mais qui sait si je ne suis pas un homme charmant ? Faut-il pour cela se prosterner devant la femme aimée ? faut-il l’écraser de louanges ? faut-il courir au-devant de ses moindres désirs ? Gédéon est charmant, et il n’est pas aimé ! Ce n’est donc pas comme lui qu’il faut être. Comment ? Je ne sais ; ce doit être affaire d’inspiration…