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IV

DE PIERRE À PHILIPPE


Vaubuisson, 15 février 64.

Tu es bien le meilleur des êtres et le plus tendre des amis. Oui, j’irai passer quelque temps près de toi. Laisse-moi essayer d’abord de la solitude. Si elle m’est nuisible, je te promets de ne pas m’y acharner.

Mais ne te moque pas trop de mon courage. J’ai besoin d’y croire. Je me suis demandé bien souvent comment je supporterais la misère le jour où mon oncle me forcerait de fuir, car ce qui m’arrive aujourd’hui avait été plus d’une fois sur le point de m’arriver. C’était donc prévu. N’ayant pas été destiné et habitué à la gêne, il est bien certain que je n’ai pas tes forces, que l’on m’a créé des besoins factices, enfin que je ne suis pas un homme éprouvé comme toi et pouvant dire : « Je me connais, je m’appartiens, je sais me diriger. » Au moins, j’ai su me gouverner, me restreindre et m’entraîner comme un cheval qui se prépare à la course. En m’interrogeant mainte fois sur l’éventualité qui aujourd’hui est un fait accompli, je me suis tracé mon type d’aventurier, car tel je suis maintenant ; trop bien ou trop mal élevé pour être volontiers l’artisan d’un métier officiel, il faut que je sois l’artisan de mon existence inconnue, et que je m’y embarque comme dans une aventure bonne ou mauvaise. C’est à moi de m’y conserver