Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/294

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son entourage et à tout le pays que son mariage est décidé ? C’est le mariage d’Arlequin qui était à moitié fait, par la raison qu’il voulait épouser Isabelle : il est vrai qu’Isabelle ne voulait pas épouser Arlequin…

Pauvre Gédéon ! je le raille et je l’accuse. Je n’ai pas encore ce droit-là. Il faudrait s’expliquer avec lui, voir si, devant un interrogatoire sérieux, auquel je n’ai pas encore eu le sang-froid et le courage de le soumettre, il persisterait à mêler la fatuité à ses illusions. Et puis il faudrait reprendre la parole que je lui ai donnée de le servir, et lui déclarer franchement, dussé-je l’irriter et l’avoir pour ennemi mortel, que, moi aussi, j’aime mademoiselle Vallier, et que je veux le lui dire. — Il faudrait ? il faut ! sans cela, je suis un fourbe à ses yeux. J’attendrai son retour, je ne reverrai pas Aldine malgré le sentiment que j’ai à présent de mon droit. Gédéon a été passablement léger avec moi dans cette affaire ; je ne veux pas l’être avec lui, je ne le serai pas.

Je suis dévoré d’impatience jusqu’à en souffrir. Qu’importe ! je vois bien que l’amour est une chose terrible ; il est pourtant le bonheur ! Un bonheur terrible ! voilà une définition étrange. Mais pourquoi veut-on que le bonheur soit calme ? Un si grand mot peut-il s’appliquer à un état négatif ? N’est-ce pas plutôt une exaspération de puissance vitale, et n’est-il pas bien bon de se sentir tout à coup, un beau matin, supérieur à soi-même ?

Qu’importe, d’ailleurs, que l’amour soit ou ne soit pas le bonheur ? Il est le but réel de l’homme, et, si le bonheur n’est qu’un but imaginaire, il est bien facile de s’en passer quand on a une réalité si palpitante et si enivrante à saisir !