Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/48

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tures extrêmes, soit en bien, soit en mal ? Est-ce qu’il ne te semble pas qu’elles échappent à la loi commune, qu’elles dépassent la mesure du juste, et que l’on ne doit ni trop condamner ni trop admirer les organisations exubérantes ?

Passons encore ! Accorde-moi que le bonheur est, comme la vertu et comme la perversité, une pure abstraction, ou, si tu veux, le type idéal d’une chose qui n’existe dans la nature qu’à l’état d’élans fugitifs et de velléités plus ou moins impuissantes. Plus on a de vertus, plus on est vertueux, de même que plus on a de vices, plus on est pervers ; mais l’être complètement saint, comme l’être absolument maudit, n’a encore jamais revêtu la forme humaine et ne la revêtira jamais. Le jour où l’humanité a senti le besoin de produire ou d’inventer cet être impossible, elle l’a fait dieu ou diable.

Ne te fâche pas ; une abstraction est une bonne chose quand c’est le type d’un idéal auquel nous souhaitons de ressembler. Moi qui suis pour le positif, je ne rejette pas l’idéal : mais je ne veux pas de ces philosophies ingénieuses, aimables, généreuses et décevantes qui nous disent : « Le bonheur est une philosophie. » Autant dire que la philosophie est un bonheur. Je n’en doute pas ; l’étude du vrai et du bien est une délicieuse occupation : mais, comme toutes les satisfactions de ce monde, un rien la trouble, une migraine nous en prive, un travail aride et forcé nous l’interdit, une douleur, un devoir même nous en détournent. Non, l’homme ne possède rien qu’il puisse faire durer pour lui ou pour les autres, et le bonheur est un mot !

Un grand mot, je le veux bien, mais un grand men-