Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/50

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bien autrement impossible. Toute l’éternité sans un seul nuage pour payer quelques heures de tempête bravement supportées ! vraiment c’est avoir l’absolu à trop bon marché ! Si l’humanité eût pu croire fermement à ce beau rêve, elle n’eût jamais dévié du chemin de la justice, et nous serions tous aujourd’hui des anges… Mais qui veut trop prouver ne prouve rien, et ce rêve n’a saisi que les âmes exubérantes, les enthousiasmes exceptionnels. Il est devenu un calcul de pur égoïsme pour le vulgaire des croyants. La liste des martyrs et des saints se compte par la commémoration des jours de l’année, encore faut-il en retrancher une quarantaine que l’Église réserve à Dieu et à la Vierge.

Je t’entends d’ici me dire : « Où vas-tu ? l’ergotage t’entraîne. Tu viens de te sentir heureux à un moment donné de ta vie ; tu as été frappé de cette sensation comme d’une découverte, et te voilà parti pour la définition de ce que tu éprouves. C’est bien, mais tu commences par le nier ! Où vas-tu, mon pauvre Pierre, où vas-tu ? »

N’est-ce pas, c’est là ce que tu me cries en me lisant ? Mais moi, je crois être très-logique. Je sens, dans la prise de possession de moi-même, un grand bien-être, une sorte de joie douce et tranquille. Je me dis : « Voilà le bonheur ! Salut, hôte inconnu ! permets-moi d’examiner ta figure, de t’interroger, d’éprouver ta puissance et ta durée !… Mais je suis un enfant de mon siècle, un chercheur et un sceptique. Ne prends pas le bon accueil que je te fais pour une idolâtrie aveugle. Je sais très-bien que tu es inconstant, et que, comme Ahasvérus, tu ne peux t’arrêter ni chez moi ni chez le voisin. Tu es une chose de ce